jeudi 27 janvier 2011

Paris, je ne t'aime plus



Quel bordel ! Brunes imprenables, blondes douteuses de films noirs, jeunes loups affamés, snobs bien en quart, bobos béats. Toute la ville semble attendre on ne sait quoi. Ça fait une drôle de queue ! Or rien n'arrive ! Eschatologie déçue. Maelström bouillant pour ville morte...

Ici deux négresses aux danses agressives bondissent sur le quai comme des sauvages enfiévrées par la musique jazz. Leurs corps gras ondulent comme de drôles de flans moulés dans des jeans bariolés. Bah, il faut bien que jeunesse se passe.

Le métro est ce lieu dégoutant où toutes les masses humaines viennent s'incorporer dans le bruit et le fracas comme de longs mille pattes conformes qui roulent en flux tendus. Ah, il faut voir la suprême imbécilité bruyante des foules, l'horreur des passants pressés, des sales gueules compressées dans les cabines comme des sardines suantes. Dans la promiscuité jaunâtre on croise néanmoins des anges étranges, comme ce gamin incroyable aux yeux bleus et aux longs cheveux blonds, chérubin glorieusement attardé tombé de nulle part, vêtu d'habits de rue, qui porte sur son dos un sac d'écolier, et qui semble s'apprêter à s'envoler doucement vers quelques bras mal indiqués ou quelques rues sinistres. Ici un couple de petits vieux amènes qui vous sourit tendrement avec de longs regards courbés.

Là, un chanteur à la sauvette, rital à la voix bien d'époque, dégoulinant de bons sentiments humanitaires, show-man comme pas deux et qui, après avoir repoussé un pauvre clochard avec un dédain glacé de vieille bourgeoise, et sans doute sans voir l'ironie de la chose, entonne un "Imagine" de John Lennon fort à propos devant les yeux ébahis des bobos et des touristes (c'est la même pâte). On a envie de lui arracher son micro et de crier : " Venez à moi les laids, les tordus, les pauvres, les égarés, venez et ne baissez pas les yeux. Et maintenant piétinons ensemble tout ces faux-culs en chantant l'internationale ! " Ah, doux rêve de justice ...

Paris est cette vieille putain baisée de toutes parts, par la soif affairée du lucre, par la laideur des murs entachés de publicités, par l'opportunisme des hommes, par la froideur des femmes. Elle a de beaux restes en vérité. La tiers-mondisation règne et donne un charme louche à la ville, où tout est nimbé de lumières bon marché et criardes qui étalent leurs ombres sur les pavés mille fois courus, où toutes les langues se mélangent dans un flot babélien, où toutes les froideurs viennent se réchauffer en vain, dans ce grand creuset de France, cette turbine pourrie du vieux royaume déchu. Ta magie brisée nous fait encore de l'œil, Paris, à travers toute la propagande bruyante du temps et l'autosatisfaction goguenarde de tes habitants.

3 commentaires:

  1. Super texte, bravo à celui qui la écris, c tellement bien monté. Bravo

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  2. Le métro a pour moi ceci d'intéressant qu'il coordonne parfaitement les contraires: quoi de plus rassurant pour l'humanité qu'un roulement régulier ou qu'une porte qui toujours s'ouvrira à droite dans le sens de la circulation? Et pourtant quoi de plus alarmant qu'être une fourmi qui serre contre elle son sac plein de son existence médiocre et de son identité plastifiée sur une carte bleue, semblable à tant d'autres fourmis qui elles aussi voient la porte toujours s'ouvrir à droite dans le sens de la circulation?

    (J'aime beaucoup c'que vous faites)

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  3. Un cauchemar de dialecticien, tout à fait le métro. Cet automatisme rampant est le nœud même de la détresse bourgeoise urbanisée des grandes villes.

    Nous aimons que vous aimiez, merci de nous lire.

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