mercredi 15 août 2012

Mamie D. - Moi, ma vie, ma vaisselle.



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Il traîne dans la tête de cette petite femme ronde comme d'étranges angles. Sa démarche de canard blessé vous arrache des pitiés. La géométrie de son intérieur, de ses murs, de ses habitudes, de sa vaisselle même, fait comme un labyrinthe pour invités égarés. Qui vit à sa convenance de marmotte grise, à l'abri de ses ardeurs-surprise ? Tout a chez elle sa place, et ses couloirs même résonnent à un drôle de diapason secret, tout tordu par la courbure de son âme. On ne les arpente qu'en rasant les murs, ces couloirs, de peur que ses épées biscornues en glaires de sang d'orgueil ne vous abattent à chaque pas de coté. Harpie, autoproclamée libertaire, elle se fait les ongles sur les libertés de ses convives, et joue des cordes sur leurs nerfs. Le nerf est élastique, mais il s'use à la longue. 

Assassine mégère, des cadavres d'ex-amis plein ses placards, elle se confesse un esprit milliaire de commandant général. Partout elle a l'oeil en mirador. Pas de chemins de traverses dans sa petite prison adorée. Au creux de ses montagnes splendides, une rare fontaine indulgente. L'écrin du huit clos fait comme un rêve en mirage. Au dedans bien au chaud qui bout, un cauchemar, comme un ogre dans sa grotte. 

Percluse d'impressions, paranoïaque comme un bunker assiégé, elle ne s'en laisse pas compter, et compte elle tout, de peur qu'on ne l'arnaque sur un grain de riz, ou une taie d'oreiller mal disposée. "Faites comme chez vous", dit son gros coeur hospitalier. Et d'ajouter, en marmonnant  entre deux glou-glou de sang noir, "mais plutôt comme chez moi". Un chapeau mal placé, une boite de thé entamée avec trop de désinvolture, et c'est le drame. Vos odieuses aises, qu'elle soupçonnait si bien, sont soudain démasqués dans une terreur glacée. C'est tempête pour un verre d'eau. On s'évite alors durablement, chacun revenant se nicher dans son quant-a-soi malaisé. 

Après quelques temps de guerre froide, voici venu la crise. C'est l'heure fatidique des explications. Discussion collégiale au salon des ombres. Dans son récit abscons tissé de bonne volonté elle soupçonnera la triste emprise du malentendu dans les contrariétés passés. Les malentendus ont bon dos et font de bon blanc-sein unilatéraux  Pourtant son coeur encore trésaillera en flots de sang sourd. Bien tardivement il débordera sur les côtes escarpés de son remord. Et l'on a les remords que l'on peut. Elle porte le sien bien haut, comme une parade à la gloire de son gros coeur. Comme Allah, elle estime que sa miséricorde a vaincu sa colère, certes un peu tardivement - et pour un temps seulement - mais "nul n'est parfait". Et puis les torts sont de toute manière partagés - surtout par les autres - ces envahisseurs invités qui n'espèrent que profiter d'elle. Elle se cauchemarde en bonne poire, quand on ne voit que ses dents hurlantes. En clotûre, elle vous prend dans ses bras ruisselants comme dans une tenaille bien réglée. Et tout repartira comme si de rien n' était dans la grosse routine mal huilée. 
Ah, elle a bien changé ces dernières années, comme elle le dit si souvent. Deux rides et une demi-goutte d'eau dans son vin, à compte honnête. Elle professe préférer les animaux aux hommes, qu'elle traite en effet pire que des chiens. Et elle traite les chiens même comme de la vermine à dédain. Sans doute préfère t-elle encore les plantes aux bêtes... En accord avec ses principes comme un prêtre pédophile, elle n'est pas à dix euros prêt, mais vous les exige quand même. C'est que Mamie D. est un peu aveugle quant il s'agit de se considérer. Le mirador a quelques angles morts. La tolérance est le grand credo de son catéchisme truqué, à la simple condition que l'on vive en clone exact de sa petite personne. L’auto-glorification en bandoulière  elle se portraiture volontiers en amie des libertés, l'ouverture d'esprit chevillée au corps. Son autoritarisme quotidien n'étouffe pas outre mesure son baratin. Ses bêlements d'originale et ses ricanements d'autosatisfaction troublent le doux silence de son village. On est pas sérieux quand on a soixante ans. Il faut bien que vieillesse se passe. Fût-elle toujours si vieille, d'ailleurs, elle l'ex-chouchou "indomptable" ? Rebelle de vitrine à la vérité, jubilant comme un caprice d'enfant, mais authentique chieuse.

Mamie D. ne sait pas nager, et ne s'approche jamais des grandes eaux. On se dit parfois que c'est une bonne occasion de perdu pour la noyade. C'est qu'on renierai presque son flegme chrétien devant ses assauts mal embouchés. Mamie D. n'aime pas les religions, et vous le fait savoir. Mamie D. a déshonoré le pardon et la charité. Même le Christ est en colère devant son âme de VRP-d'elle-même, mais cette marchande de son pauvre temple de corps n'en a cure, et est trop occupée à lui tendre sa carte de visite. "Mamie D. Haut de Saint-Jacques. Petit paradis. Hospitalité garantie". Mamie D. ne se voit pas. Mamie D. subit ses humeurs et s'enlise comme une mouche dans la crème. Ses amendements l'enfoncent, et ses retenues l'enferment. Mamie D. est une impasse où la pitié vient se perdre avec de petits sanglots. On l'enterrera avec sa vaisselle, en priant passablement pour son âme retorse.


mardi 17 juillet 2012

Rencontre avec le Système






ARTHUR BOULE -- Le Système doit périr !

LE SYSTÈME -- Je n'existe même pas !

ARTHUR BOULE -- Prouvez-le ! Votre supposée inexistence est l’astuce même de votre domination sinistre !

LE SYSTÈME -- Prouvez-moi que j'existe alors !

ARTHUR BOULE -- Moi, je vous vois. Ma voisine Charlotte me dit paranoïaque, elle dit qu'elle ne vous voit pas, que vous n'existez que dans mon imagination et ses débordements... Mais moi, je vous vois, aussi clairement que je vois mon visage dans une glace.

LE SYSTÈME -- Alors, dites-moi à quoi je ressemble, si vous me voyez d'évidence.

ARTHUR BOULE -- Ah oui, voilà une bonne idée. Là que je vous ai sous la main, je vais vous tirer le portrait. Voilà, mon appareil photo est en place. On ne se moquera plus de moi désormais. Yeti-mon-oeil, oui !

Arthur appuie sur le déclencheur de son petit appareil. Le cliché est décevant : une modeste valise, boursouflée de notes, avec une étiquette accrochée à un fil usé, où l'on peut lire :  "Ceci est un Système."

ARTHUR BOULE -- J'aurai juré que... Mais c'est d'un cartographe dont j'avais besoin, pas d'un appareil photo. Votre topologie est plus intéressante que vos troublants visages.

LE SYSTÈME -- Vous faites fausse route. Je ne suis qu'un mot-valise enflé de vos spéculations d'impuissant, voilà tout. Une légende urbaine tenace pour complotiste en bunker.

ARTHUR BOULE -- Vous mentez ! Vous mentez !

LE SYSTÈME -- Oh, naturellement, chacun a sa petite idée sur moi, vous comme les autres. Mais vos semblables n'arrivent jamais à se mettre d'accord. Où suis-je apparu pour la dernière fois ?

ARTHUR BOULE -- Partout, tout le temps !

LE SYSTÈME -- A quoi ressemblent les têtes pensantes de mon cerbère de gardien ?

ARTHUR BOULE  -- Je vais vous le dire...

LE SYSTÈME -- Ne suis-je pas bien plutôt la dernière invention des populistes paumés, toujours à la recherche de têtes neuves à couper pour faire tourner leurs boutiques de desespoir ? Vous ne pensez tout de même pas qu'une ample diaspora, issue de mon sang, domine un monde si vaste que le vôtre ? Qu'elle tire les ficelles de la Bourse ? Qu'elle tient d'une main avide les manettes de la Machine-Monde qui vous opprime tant ?

ARTHUR BOULE -- Moquez-vous ! Moquez-vous donc ! Mais sachez bien que nous vous détruirons, que vous existiez ou non ! L’humain respire à peine sous votre corset d’idéologies tarabiscotées. On étouffe sous votre règne, Système ! Que vous nous glissiez entre les mains ne prouve rien, ni n’assèche notre haine pour vous. Vous avez beau faire le fier à paradoxe, votre réalité n’en est pas moins certaine, à nos yeux d'esclaves !

LE SYSTÈME -- Oh vous m’ennuyez. Je n’existe pas plus que le Diable, ce pauvre diable, qui n’existe même pas.

ARTHUR BOULE  -- Il est exact que vous existez aussi peu que le Diable. Pour être exact, vous vous confondez avec lui, vous ne faites qu’un, le Diable est l'un de vos nombreux noms !

LE SYSTÈME -- Oh je vous en prie, la diabolisation est une vieille lubie pour gauchistes mal lunés. Pas de ça entre nous jeune homme. Vous êtes donc, vous, tout blanc, et moi tout noir ? Qui me dit que vous n'êtes pas vous même un agent de ce fameux Système que vous professer honnir...

ARTHUR BOULE  -- Jamais ! Je n’ai rien à voir avec vous !

LE SYSTÈME -- ...vous en avez la couleur, et votre coeur... jolie petite mécanique... qui palpite comme une horloge... qui irait à ravir dans mon grand assemblage...

ARTHUR BOULE  -- Vade retro Satanas ! Vous voilà confondu !

LE SYSTÈME -- Satanas... comme vous y allez... mon triste frère.... nous sommes si semblables pourtant. Votre rythmique molle épouse ma petite dialectique bien huilée... mes courants alternatifs sont au diapason de votre médiocrité... La girouette humaine va si bien avec mes délicates manigances...

ARTHUR BOULE -- Vous tombez le masque !

LE SYSTÈME -- A votre tour !

ARTHUR BOULE -- Je n’ai, moi, rien à cacher !

LE SYSTÈME -- Votre transparence vous honore... Les fantômes se suivent et se ressemblent... Je pourrais acheter votre âme tout de suite vous savez. Ca ne serait pas une première. Vous seriez même le trente six mille cinq-cent cinquante deuxième du jour, pour tout vous dire !

ARTHUR BOULE -- Je ne suis pas à vendre !

LE SYSTÈME -- Voyons ça !...