lundi 27 juin 2011

Communautarisme



La barrette est bien enfoncée sur la kippa, permettant ainsi la stabilité à cette dernière sur la sphère capillaire de cet homme que j'observe, dans ce restaurant kasher Beth Din, où les schnitzels, lafas et shawarmahs emplissent les bouches préalablement lavées de leurs « betleavon » et de leurs « toda »
Les grandes tapes dans le dos, les sourires, les regards entendus, la proximité des corps des clients m'assurent qu'ils se connaissent tous sans exception. Ils forment comme un barrage à mon encontre via leurs dos qui visiblement se sont donnés le mot pour me faire face. Je mange vite et pars, je ne suis pas spécialement le bienvenu.
Alors je repense à ces Sénégalais, d'anciens voisins, qui à chaque fois que je les voyais parler devant mon immeuble, faisaient de même, ne me jetant pas même un regard. Je les imaginais le soir tartiner leur "mburu" de dakatine à l'étage au dessus, pendant que toutes les Betty Crocker du monde badigeonnait le pain de mie de leurs enfants de Nutella ou de peanut butter-and-jelly. Les premiers voulaient que leurs gosses survivent et sortent de ce taudis, les secondes que les leurs aient des statuts et des études, mais je ne m'y méprenais pas ; les deux groupes étaient à peu près aussi cons puisqu'aucun ne voulait de moi.

Effectivement, j'ai longtemps été exclu de tout groupe. Seul, solo, solitaire, peu importe la dénomination, vous avez bien compris ce que j'étais. Mais ce n'était pas grave puisque je ne voulais de toutes façons appartenir à aucun groupe, je voulais être un outsider. J'entrepris donc bien vite, après m'être débarassé de mes parents, de m'enfermer dans ma chambre et de passer mes journées à glandouiller, n'ouvrant ma porte que pour payer le livreur de pizzas et sortir les poubelles, grosso modo. Hélas, j'appris bien vite l'existence d'une communauté de personnes s'appelant les hikikomoris ; dégoûté, je brûlai de rage toutes mes affaires, maudissant les geeks et les Japonais qui m'avaient volé mon mode de vie pour en faire un groupe nominal. Être un outsider était devenu une étiquette plutôt chic, je décidai donc d'être actif.

Je partis à la campagne faire un élevage de brebis (les soixante-huitards étant tous morts ou presque – pour certains on ne savait pas bien, un peu comme pour Ariel Sharon – je ne craignais plus d'être associé à eux). Malheureusement, un jour que je regardai la télé, je tombai sur une émission s'intitulant « L'amour est dans le pré », et je me rendis compte que les agriculteurs et éleveurs étaient perçus par la France comme une communauté bien distincte, plus précisément de losers hermétiques et en mal de cul prêts à s'enticher de grognasses des quatre coins de l'hexagone, pourvu qu'ils parlent à autre chose que des vaches et des gerbes de blé. Ah, malheur !

Tant qu'à faire, puisque tout était communautarisme et étiquettes, je me dis « pourquoi pas choisir une communauté pas trop mal ? » Je me serais bien converti à l'islam, mais la sauce samouraï des kebabs me rappelait vivement mon passé en tant que membre d'un groupe à consonance japonaise (c.f. au-dessus). Les catholiques ? Bien mieux, ce groupe était en voie d'extinction et les rares survivants en France passaient pour des grands bourgeois à foulard Hermès et accent seizième, ce qui me garantissait un mépris global de la population qui me permettrait de poursuivre ma solitude sous couvert de ma team de communiants et communiés discrets. Malencontreusement, la béatification de Jean-Paul II créa un tel phénomène de masse que je crains d'être mis une fois de plus en exergue lorsqu'il fut question de figurines Action Man : Jean-Paulozor Two à la Chambre de Commerce.

Assailli par la fatigue et la lassitude, je considérai une toute dernière option : me faire racaille parisienne. Mais ce qu'on ne vous dit pas, au JT, c'est que ça coûte cher d'être une racaille. Entre les Air Max requins, les multiples survêt', le Blackberry dernière génération, les après-midis aux Champs ou aux Halles, la consommation de drogues et les soirées en boîte à soixante racailles avec du mousseux Canard-Duchesne qu'ils font payer 60€ ; le tout pour espérer danser collé-serré deux minutes avec une coiffeuse de 16 ans maquillée comme une voiture volée et pour laquelle une preuve d'amour romantique est une sacoche-banane Dolce & Gabbana, je fus vite ruiné.

Et puis je découvris ce blog. Une seule communauté, si tu rallies le Bien.

mercredi 15 juin 2011

Une si douce Falot-cratie.




La Grande Mère prépare un gros biberon. Il pleut du lait sur Paris. Tati range sa pipe dans son grand pardessus gris, Gainsbourg écrase sa cigarette dans une petite flaque blanchâtre. Tout empétrés-laiteux, les grands Enfants de la Société roucoulent d'aise, en se chantonnant des mignarderies. Tout est bel et beau dans ce doux paradis pour grands et petits enfants.

Mais derrière le paravent ronronnant de cette si tendre compagnie, se cachent d'étranges lynchages, sans aucun doute très salubres, notamment quand l'on sait les réticences répugnantes de certains pour la communion dans le très doux catéchisme du jour. Ainsi l'on châtie avec force les mauvais coucheurs. Ceux-ci se plaignent de l'empire sans bornes de petites communautés soi-disant toutes puissantes faisant régner une hypothétique terreur sucrée sur le régime. Pire encore, certains d'entre ces trouble-fête prétendent, parlant au nom de l'on ne sait quelle idée saugrenue, remettre en cause une partie des très Justes Dogmes du temps radieux.

Merci à la Grande Mère, les éternelles victimes de la haine de ces Salauds trouvent de solides défenseurs dans la caste des Rentiers du Stigmate. Ces grands manitous des Compensations Sonnantes et Trébuchantes - saint sacrément des eaux tièdes de l'Histoire - se font ainsi des petites fortunes pour la Bonne Cause, dans l'indifférence presque générale des foules, trop occupées à leurs petites affaires roses et grises. C'est qu'un lynchage, y compris au nom des plus beaux mielleux principes, c'est un peu rouge, et que la vue du sang fait horreur aux petits enfants. Mieux vaut leur épargner ça, pensons à leur sommeil et à celui de leur mère.

Au moindre dérapage incontrôlé, les assoiffés de justice se ruent en masse, comme des piranhas indignés. Aussitôt, les Rentiers rappliquent, suivis de bataillons d'avocats pensant fort droit, bien que pour la plupart émasculés. Ainsi les mâle-pensants, tenus couilles par-dessus tête par ces eunuques en robe assoifés de procédure castratrice, expurgent ce qui leur reste d'orgueil. Les offensés hilares, comme un seul homme se congratulent, et tout le monde rigole plutôt bien, si ce n'est le très coupable supplicié, expiant à coup de chèques ses crimes de lèse-Vérité officielle. Autant dire qu'on lui pardonne mal d'avoir troublé le sommeil des petits, de les avoir empêchés de penser tranquillement en rond. Au derniers rangs du procès, la Vérité, exsangue, claque des dents. 

Pendant ce temps, les grands patrons de l'idéologie officielle, tout emmitouflés dans leur bon droit blanc comme neige, se posent de louches questions. Les bien-pensants sont bien pensifs. Quelque chose cloche. Tout cela manque un peu de conviction et d'enthousiasme. On ronfle un peu au fond de la salle. Et puis on chahute, un peu fort parfois, comme si l'ennui cotonneux excitait le goût du sang de certains. "Ce n'est pas sérieux les enfants", disent ces Grandes Consciences, sans trop y croire. La tyrannie de ces enfants-rois, gorgés des seins de la Grande Mère, est sans limite, leur impunité chose quasi-sainte pour le très doux régime. Les crimes de droits communs bénéficient de toutes les indulgences, et les petits diables s'en donnent à coeur joie. C'est que la Grande Mère pardonne beaucoup à ses petits, qu'avec amour elle les prend dans ses bras, les console, les cajole, qu'elle sait faire preuve d'une grande compréhension pour leurs égarements. Blanche mante religieuse, il lui arrive tout de même d'en manger un ou deux, quand cela est dans l'intérêt général, naturellement.

Pour finir, une petite recette de bonne maman. Prenez 50 centilitres de lait, ajoutez 10 centilitres de sang et mélangez avec amour. C'est doux, c'est rose, ça se boit sans fin. On tremblote de délice apaisé, et tous les soucis disparaissent. Alors on s'allonge sur le canapé et l'on s'en remet à la Grande Mère, dans un grand soulagement couleur grenadine. On se dit alors que cette falot-cratie est bien le meilleur régime qui soit, n'en déplaise à ses obscurs détracteurs.

dimanche 12 juin 2011

Portrait de Marc-Edouard Nabe en poupées russes.



Parmi les vivants, Marc-Edouard Nabe est certainement le plus grand auteur de books-émissaires de l'édition française. On dit de chacun de ses livres qu'ils empoisonnent les puits sans fonds de la vanité littéraire, qu'ils mangent les petits enfants du tout Paris, qu'ils annoncent de méchants apocalypses, voire qu'ils refusent de jouer avec les autres ! Il a toujours brouillé les cartes, n'a jamais joué le jeu, ou pire, l'a joué selon ses propres règles. Ni gauche ni droite, artiste ! 


Mais qui est vraiment l'homme MEN, qu'a-t-il été jusque là dans notre drôle de siècle foutu ? Un mouton noir ? Le goy errant ? Un porte-casserole médiatique ? La réincarnation de Harpo dans le corps d'un bavard ? L'albatros de Baudelaire croisé avec un caméléon ? Le fils caché de Don Quichotte et de Billie Holliday ? Le punching ball préféré des retournes-veste ? Le batard bordeau d'un indien noir et d'une négresse rouge ? Un bébé fasciste dès le berceau ? Un christ plein de plaies sous un costume trois pièces ? Un jazzman qui souffle dans un bic troué et pianote sur une toile fraîche ? Le dernier déguisement de Spaggiari ? Diogène sans son tonneau ? La statue de la liberté en exil loin de son tombeau américain ? Un miroir brisé qui cherche partout ses morceaux ? Un salaud torturant la langue française dans sa grande cave poétique ? Le Grand Chef des racailles antiblanches ? Le revers de l'occident ? Un gargantua bouffeur de bourgeois ? Un camé clean depuis toujours ? Un Super-Erotomane ? Un vampire qui a peur du sang ? L'ombre d'Alain Zaninni ? L'homme chargé des relations publiques chez la Terreur ? Un temple gardé par un Christ-videur qui n'y laisse entrer aucun marchand ? Un ver de terre amateur ? Un derviche qui a le tournis ? Un projectionniste fiévreux dans une salle de cinema en feu ? Un demandeur d'asile sur terre pour cause de révolution avortée au paradis ? Un serial killer tres doux ? Un collectionneur d'hérésie ? Le dernier des Idiots ? Un martyr écartelé d'un coté par un rouge et de l'autre par un brun ? Un mystique nu en train de sautiller sous les coups de fouet de Max Roach ? Un vengeur démasqué ? Un saint-imaginaire ? Un Fanfaron hyper-sérieux ? Le banquier du diable ? L'avocat des causes perdues d'avance ? Un trader douteux entiché d'étranges valeurs ? Un steak de christ enfermé dans un porte monnaie ? Un palestinien ? Le pire cauchemar de Beigbeder ? Le singe de Leon Bloy ? Un bluffeur qui ne ment jamais ? Un risque-tout qui perd à chaque fois ? La bête immonde ? Un maudit de vocation ? Un artisan flambeur ? Un allumeur ? Le grand méchant loup qui crie au mouton ? Un pendu qui balance pas mal au bout d'une corde très blanche ? Un dandy profond ? Un mondain ingrat ? Un livre ouvert ? Un trouble-fête sur son 31 ? Un agitateur ? Un agent de subversion ? Un damné de l'orientalisme ? Un indien qui scalpe gratis ? Un oisillon couvé par le Professeur Choron et Louis-Ferdinand Céline ? Le protégé de Ben Laden ? Un phoenix trempé dans l'encre ? L'homme nouveau ? Un corbeau à lunette mal luné ? Un autre ? Un anthropologue rendu fou par son objet ? Une petite frappe ?


Mais arrêtons-nous ici. Vous trouvez peut-être que cela fait déjà beaucoup pour un seul homme. Eh bien, manifestement, pas pour MEN.