"Mon médecin est formel : j'ai tous les symptômes de l'Homme Normal.
Comble du comble : la politique me dégoûtait et je n'avais d'avis ni sur la faim dans le monde ni sur le statut des femmes en Iran."
Il subsiste de cette histoire la preuve qu'il existe maintenant un gouffre entre la norme et la Norme.
"Donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pécher, il te bouffera tous les jours".
Ca a commencé à l'adolescence, l'époque où l'on se découvre et explore ses différences idiosyncrasiques, les petits trucs qui forgent qui l'on est. Quelle ne fut pas la terreur de mes parents de découvrir que je n'aimais pas spécialement la mièvrerie, les sorties, l'émotivité, pire, qu'elles ne m'intéressaient pas.
Tout s'est enchaîné très vite, ils s'aperçurent bien vite que jamais je n'aurai un style vestimentaire particulier, que mes goûts musicaux étaient peu affirmés et pas du tout exhibés, qu'ils n'auraient jamais la fierté de me voir défiler sur un char à la Gay Pride avec des tatouages plein les bras, ou dans un bar branché avec des habits vintage et du slam gribouillé sur des calepins de poète maudit.
Tel est le récit bouleversant de Jean Deaux, mort lors de la croisade du XXIème siècle contre l'homme normal, tué par une certaine Allison après qu'elle l'ait eu torturé des heures durant, ne parvenant ni à lui faire se révolter contre les inégalités terrestres, ni à lui faire dire "je n'aime pas les hypocrites", lieu commun sacerdotal de la guerre sainte contre l'homo normalis.
Il subsiste de cette histoire la preuve qu'il existe maintenant un gouffre entre la norme et la Norme.
La Norme telle que l'entendait Jean Deaux était celle d'un homme simple qui écoutait son for intérieur pour distinguer le vice de la vertu, l'intéressant du nul-à-chier, l'important contre le chiqué. Il se fiait à sa nature. Sans en faire un martyr, il était tout bonnement ce que l'on peut attendre d'un être humain Normal et paisible, à savoir le pire.
La norme telle que nous l'entendons, quant à elle, est cette force centripète qui vise à tous nous rassembler autour du même drapeau : nos soi-disant différences. Mais attention ! Ces différences sont toutes normalisées. On a le droit d'être différent mais pas raciste, pas sexiste, pas méprisant, pas triste, pas moche, pas cru, pas indifférent, pas pratiquant, et surtout, c'est mieux si la nature nous a doté de quelque déviance sexuelle bien perverse.
En découle un riche arc-en-ciel, un melting-pot de citoyens du monde qui s'acceptent les uns les autres (particulièrement lors des soirées arrosées) et qui donne des spécimens super-originaux, ce qui fait la richesse de notre belle planète : l'homme mi-hétéro, mi-homo, mi-sogyne ; la donzelle qui couche pas le premier soir mais bel et bien le deuxième et le troisième et pas avec le même ; le mec aux cheveux gominés en crête Mad-maxienne qui confond Ibiza avec sa supérette de quartier (il achète une douzaine d'oeufs sans quitter ses Ray-Ban) ; la bobo(nne) aux cheveux raides, étudiante de Lettres raide-dingue de Rimbaud et Baudelaire et dont le rêve serait de coucher avec un Lévy (Marc ou Bernard-Henri, qu'importe), puis d'annoncer l'avoir fait sur Facebook.
Et tant d'autres (mais pas tant que ça), ceci n'est qu'un micro-échantillon du prisme multi-suppurant qu'est notre société occidentale génialissime.
Heureusement, l'Homme Normal, s'il n'est pas lynché, est exclu socialement. Une expérience avait été réalisée sur Jean Deaux, en comparant sa place sociale avec celle d'un travesti, d'un pédophile, et d'une célèbre crapule avide d'argent dont le nom de famille est synonyme de carpette. Jean Deaux arriva bien sûr dernier, et on en conclut que, eh bien d'abord bien fait ! puis que notre société était si avancée qu'elle faisait justice elle-même à ses dissidents intolérants et Normaux.
"Donne un poisson à un homme, il mangera un jour. Apprends-lui à pécher, il te bouffera tous les jours".
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