lundi 24 janvier 2011

L'athée-orie du complot


Ce matin, je sortis prendre un café en bas de chez moi. Dans le hall de mon immeuble, je croisai ma concierge qui, à mon « bonjour madame ! » plein d'enthousiasme, répondit un bref « bonjour » à mi-voix, fixant trop attentivement son balai, comme si elle avait peur que celui-ci lui échappât des mains pour organiser un remake sulfureux de « L'apprenti sorcier », avec bastonnades et morts à la clef ; elle s'affairait manifestement à ne pas croiser mon regard. « Ses étrennes étaient peut-être trop minces » pensais-je en tout bon bourgeois que je suis, puis franchis la porte d'entrée sans plus d'inquiétude.

Le clochard du coin de ma rue en me voyant, eut un sourire que j'estimai un peu déplacé car presque moqueur, ses dents et ses fossettes apparaissant plus que copieusement à ma simple vue et me suivant jusqu'à ma disparition dans la rue adjacente ; moi qui lui donnait de temps en temps la pièce, m'apitoyant sur son air triste, il n'aurait plus rien, je me dis. A ce stade-là, j'étais déjà un peu agacé, mais pas autant que quand, après m'être attablé dans un coin de mon bistrot usuel, je vis la table à côté de moi rire en me regardant et me montrant du doigt. J'eus le cerveau inondé par l'adrénaline de celui qui doit se sortir d'une situation honteuse mais dont il ne sait pas bien laquelle, et mes yeux voyaient défiler les lettres de mon journal sans arriver à leur étiqueter un sens, ne cessant de dériver furtivement vers la droite pour jauger en coin l'amusement de mes observateurs. Une femme et deux hommes ricanaient, il me sembla même à un moment voir l'un des deux hommes dégainer son téléphone portable pour prendre mon profil en photo.Excédé, je réglai l'addition, sans laisser de pourboire au serveur qui me fixait avec un air perplexe depuis quelques minutes à chacun de ses allers-retours à ma proximité.

C'était sûr, il y avait quelque chose qui se tramait, on complotait contre moi.

En me rendant à mon lieu de rêvasseries préféré, un square bien connu vers le quartier du Marais, je croisai deux hommes portant tous deux la kippa, et eux me regardèrent en se concertant avec un rictus presque malsain, me dévisageant de la façon la plus suspecte qui soit. Ni d'une ni deux, les connections se firent dans mon esprit et il me sembla tout comprendre : c'était, bien évidemment, un complot judéo-maçonnique organisé par des sionistes peu scrupuleux à mon égard ! Tout était limpide : j'étais athée et, ce monde se fanatisant de plus en plus (cela faisait longtemps que j'en parlais autour de moi, et c'était vrai, je l'avais vu à la télé), j'étais pris pour cible par tous ces orthodoxes intolérants. Entre les chrétiens radicalistes voulant que je m'agenouille devant le Pape, les musulmans extrémistes souhaitant que l'on se fasse tous sauter pour obtenir des vierges, et les Juifs manipulateurs aspirant au contrôle absolu de la planète, il avait fallu que ce soit ces derniers qui décidassent de me prendre pour cible.

Je rentrai vite chez moi pour poster un message sur mon blog et indigner mes fidèles lecteurs, que l'on résiste ensemble (s'ils n'étaient pas déjà tous contaminés et comploteurs) ! Ils voulaient la guerre, ils l'auraient. Je ne manquai pas de remarquer au passage un livreur de pizza de type arabisant (islamique à tous les coups) qui faillit me renverser, très vraisemblablement volontairement. C'en était trop ! Je n'étais pas en sécurité. Je fonçai dans les escaliers vers mon appartement, y rentrai, jetai ma veste sur mon lit, me ruai vers mon bureau pour y écrire mon indignation, quand le miroir de ma chambre traversa mon champ visuel.

J'étais encore en pantalon de pyjama et pantoufles.

5 commentaires:

  1. L'athée a ri du complot ici narré. Alors petite révérence.

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  2. La chute de mon histoire n'en est qu'embellie si l'athée-rit.

    En tous cas, merci pour tes commentaires stimulants.

    CS

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  3. Il est vrai qu'en arrivant ici l'on s'attend à quelque chose de rebelle, voire terriblement moqueur et cruel. C'est un pari audacieux que de vouloir cerner la société avec ses mots à soi ; tout en étalant complaisamment son aptitude à le faire.
    Au final, on s'attend à beaucoup d'étincelles traitant de l'humanité et du discours qu'elle traîne depuis qu'elle est née, et l'on trouve une humble écriture, fraîche, sensible, drôle et carrément doucâtre.C'est agréable, hein.
    Mais je trouve en effet - et je ne suis peut-être pas la première à le dire - que vous êtes partis bien trop vite en grimpant sur les monts de l'écriture avec du feu dans les yeux en martelant un style avant même que celui-ci ne se déroule devant nos yeux ébahis.
    Qu'on se le dise : c'est une bonne surprise de lire un texte qui ne correspond pas vraiment à toute la grandiloquence des propos de départ.
    Vive l'humilité soignée.

    J'aime beaucoup ce texte.

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  4. J'aurais aimé que ce texte ne traverse jamais mon champ visuel.

    Amicalement

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