lundi 14 février 2011

Casino macabre



Il y a deux églises à Forge-Les-Eaux. L'une modeste est à la gloire du Christ. L'autre a des airs de cimetière clinquant, et est à la gloire du jeu.


On y entre le sourire aux lèvres et les poches pleines d'espoirs chiffresques. Le "gling-gling" incessant des pièces qui s'y écoulent évoque dès l'abord la fièvre de l'or, et le bling-bling des costumes trois pièces un monde de cadavres sur leurs trente et un. Que de fantômes l'on voit passer, aux regards illuminés par l'espoir du gain, les mains tremblantes.

Le casino, comme un immense mausolée son et lumière, prend des airs de grandes bacchanales molles gonflées aux martingales douteuses. Certains, avec leurs petits carnets croient dompter Dieu. Il n'y a pas de hasard, se répètent t-ils, en comptant leurs pertes. La foule est dense, massée aux abords des tables. Coups de poker ! Risques-tout ! Coups de sang ! Va-tout ! Les croupiers sont tous très concentrés. On ne rigole pas avec le jeu. Les battements de cœurs indexés sur les tours de la grande roue martèlent en chœur, comme un troupeau d'artères enthousiastes sur un grand huit.

A genoux devant le saint-écran d'une machine à sous, un damné tremblote d'exaltation. Il vient de gagner vingt euros.

Dans la petite salle fumeur on vient refroidir ses ardeurs. On y croise de petites étudiantes sexy, des vieux loups revenus de tout, d'obscurs ascètes du jeu tout en noir, des chômeuses a moitié ivres qui racontent leurs pertes.

A l'étage s'agitent mollement, comme en apesanteur, quatre jeunes rachitiques en t-shirt dans un grand bain technoïde plein de nuit et d'éclats fluorescents.

Ce grand palais cauchemardesque de l'indécence chiffrée possède la séduction du diable. Un jeune homme mal rasé perd coup sur coup sept mile euro avec le sourire. Longtemps après son départ, on entendra une détonation étouffée venant du lac. Les machines à sous sont comme de grandes tombes clignotantes digérant goutte à goutte le sang des pauvres. Dieu punit ici les dévots du hasard et châtie les amants du destin. Tout le monde à tort dans un casino.

On enterre ici des centaines de fois par nuit l'espoir et l'esprit. Les crânes cliquetants bondés de signes soumis à l'hypnose du nombre et à la valse des figures finissent assommés. Le casino gagne toujours à la fin. On en ressort comme d'une essoreuse, les poches vides et les yeux pleins.

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